Question de Mme Mathilde Vandorpe à Mme Isabelle Simonis, ministre de l’Enseignement de promotion sociale, de la Jeunesse, des Droits des femmes et de l’Égalité des chances, intitulée «Illettrisme comme facteur de discri- mination»

Mme Mathilde Vandorpe (cdH). Au- jourd’hui, un adulte sur dix est toujours en grande difficulté par rapport à l’écrit en Fédération Wal- lonie-Bruxelles. Pourtant, le droit à l’alphabétisation est un droit fondamental de nos sociétés. Ces personnes sont fragilisées sur de multiples aspects comme l’emploi, l’enseignement, la culture, mais aussi face aux contraintes administratives. Cela a également pour conséquence d’entrainer certaines formes de dis- criminations à leur égard.

 

Dans le cadre des législations anti- discriminations lois, décrets et ordonnances –, 19 critères sont définis comme «protégés», on y retrouve par exemple l’âge, le sexe ou le handicap. Cela signifie que toute discrimination basée sur un de ces critères est interdite et punissable par les cours et tribunaux. L’illettrisme ne fait pas au- jourd’hui partie de cette liste de critères protégés.

 

Pensez-vous qu’il serait judicieux d’ajouter l’illettrisme comme critère de discrimination? Sachant qu’une évaluation de la législation anti- discriminations est en cours et qu’elle porte aussi sur la liste de critères protégés, c’est sans doute le moment opportun pour y réfléchir. Où en est cette évaluation des textes légis- tiques? Se fait-elle à tous les niveaux de pouvoir? Concrètement, comment peuvent être introduits de nouveaux critères? Dans l’administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles, des mécanismes sont-ils mis en place pour pallier les difficultés de ces personnes?

 

Mme Isabelle Simonis, ministre de l’Enseignement de promotion sociale, de la Jeu- nesse, des Droits des femmes et de l’Égalité des chances. L’analphabétisme définit la situation d’une personne qui n’a pas appris à lire ou à écrire dans sa langue, faute d’avoir fréquenté l’école. L’illettré a pour sa part été scolarisé, mais son apprentissage n’a pas conduit à la maitrise de la lecture et de l’écriture ou cette maitrise a été per- due.

 

Ces carences peuvent être sources de discri- minations dans de nombreux domaines. Pour au- tant, le déficit en connaissance de la lecture et de l’écriture n’est pas retenu comme critère dans les législations anti-discriminations, comme c’est le cas pour la prétendue race, la nationalité, la cou- leur de peau, l’origine ethnique, etc. Il est vrai que cette caractéristique n’est pas intrinsèque à la per- sonne et qu’elle est réversible puisqu’elle peut être corrigée par des formations spécifiques. Néan- moins, dans ses travaux sur l’évaluation des lois anti-discriminations, l’Unia (Centre interfédéral pour l’égalité des chances) suggère de remplacer le critère de l’origine sociale par celui de la condi- tion sociale. L’illettrisme pourrait donc être cou- vert dans certains cas lorsqu’il est en lien avec la condition sociale.

 

L’arrêté royal qui régit la composition de la commission d’experts pour les trois législations fédérales date du 18 novembre 2015 et a été publié au Moniteur belge le 31 décembre 2015. La liste des membres de la commission d’expertise, ap- prouvée en Conseil des ministres du 20 mai 2016, sera prochainement publiée au Moniteur.

Par ailleurs, la Fédération Wallonie- Bruxelles soutient plusieurs dispositifs de forma- tion à l’alphabétisation, à travers principalement l’enseignement de promotion sociale, mais aussi l’éducation permanente.

D’autres secteurs culturels, tels que les bi- bliothèques publiques, développent des actions de sensibilisation destinées à des personnes rencon- trant des difficultés à lire ou à écrire. Le dévelop- pement de services de proximité comme celui d’écrivain public permet aussi d’offrir un accom- pagnement spécifique. Les Régions wallonne et bruxelloise soutiennent également l’alphabétisation dans les secteurs de l’insertion ainsi que de l’action et la cohésion sociales.

 

Les principaux pouvoirs publics soutenant l’alphabétisation des adultes sont réunis réguliè- rement dans un comité de pilotage sur l’alphabétisation dont fait également partie l’ASBL Lire et Écrire en tant que représentant du réseau associatif. Le dernier état des lieux publié par ce comité de pilotage indique que l’enseignement de promotion sociale a comptabili- sé 13 128 inscriptions à des cours d’alphabétisation pour la période 2012-2013. Par- mi les associations développant des actions de formation en alphabétisation, près de 160 lieux de formation émanant d’associations, d’antennes locales ou de mouvements d’éducation perma- nente sont recensés, les dimensions d’insertion et de cohésion sociale étant souvent associées à celle de l’éducation permanente par les opérateurs.

 

Pour terminer, je souhaite partager avec vous une expérience enrichissante que j’ai eu l’occasion de vivre le 24 mai dernier. J’ai, en effet, eu le plaisir d’assister au spectacle d’une personne ex- traordinaire qui a souffert pendant cinquante ans de cette carence qu’est l’analphabétisme.

 

II s’agit de Tata Milouda, une des héroïnes du film de Hadja Lahbib Patience, patience, t’iras au paradis. Cette Française d’origine marocaine a décidé à 50 ans de changer de vie et de suivre des cours d’alphabétisation. Dans son spectacle, elle raconte sa vie, son combat et sa fierté d’avoir pu apprendre la langue, qui lui a permis de faire des spectacles de slam. C’est grâce à ce genre d’exemples que nous pouvons faire progresser l’alphabétisation de la population et son intégra- tion

Mme Mathilde Vandorpe (cdH). Madame la Ministre, je vous remercie pour ces intéres- santes réflexions. Je pense qu’en effet vos mesures combattront les discriminations que subissent ces deux catégories de personnes en difficulté face à l’écrit.

Si j’ai utilisé ce terme, c’est justement pour inclure les deux concepts. C’est un pas supplémentaire important et je salue cette démarche. C’est à la suite de plusieurs rencontres avec l’ASBL Lire et Écrire que de nombreuses ques- tions sont apparues dont celle-ci. J’ai aussi inter- pellé les ministres Mmes Schyns, Greoli ainsi que Tillieux pour la Région wallonne, afin de mettre en lumière cette difficulté. Il faut développer les expériences comme le spectacle que vous donniez en exemple. Ce sont de bonnes pratiques à diffuser pour sensibiliser la population.